Des «Indignés» grecs*** |
D’un côté : la famille, le pays, la
culture, le chômage, l’absence de perspectives. De l’autre : la
solitude, le déracinement, l’emploi, la carrière, un salaire décent.
Quelle vie pour quel avenir ? Voilà les
questionnements de la jeune génération grecque. Ils sont jeunes, ils ont
la vie devant eux, des ambitions, des idées, la volonté de s’en sortir.
Ils sont de plus en plus nombreux à faire le choix de quitter leur pays ,
non par réelle envie, mais par nécessité.
Ce phénomène n'est pas mineur
ou secondaire ; tous les jours, je rencontre et discute avec de
nouveaux jeunes qui veulent s'en aller vivre à l'étranger, eux aussi.
En
même temps, que peut-on espérer d’un pays où le taux de chômage atteint
les 22% (un chiffre qui a quasiment doublé en deux ans, depuis le début
de la crise de la dette), celui des 15-24 ans dépassant les 50%
(chiffres de l'Autorité des statistiques grecques) ; où les diplômes
deviennent inutiles par manque d’emplois qualifiés ; où les chances de
lancer une carrière sont quasiment impossibles (gel des embauches dans
la fonction publique notamment) ; où il est devenu difficile de quitter
le domicile familial en raison des dégâts de la crise économique au sein
des foyers ; où ces mêmes familles n’ont plus toujours l’argent pour
envoyer leur progéniture dans une grande ville pour qu’elle puisse
étudier ; où l’on parle des jeunes comme d’une «génération perdue» (en écho à celle de l’entre-deux-guerres).
Panagiotis, 440 euros par mois : «riche comparé à d’autres»
Panagiotis – alias Panos – a 25 ans,
cela fait quatre mois qu’il a pris la décision de quitter Thessalonique
pour Londres. S’il a choisi cette destination, c’est d’abord pour des
raisons linguistiques – il parle anglais – mais aussi parce qu’il existe
là-bas de bonnes universités et que les salaires sont relativement
élevés. En plus de ça, il connaît du monde sur place, et ne sera donc
pas totalement seul. Depuis près d’un mois, il a accepté un petit boulot
pour mettre de l’argent de côté et anticiper son départ à la fin de
l’été. Il m’explique qu’avant la crise, il occupait un emploi qui lui
plaisait, au sein du département financier d’une grande entreprise. Il
s’imaginait qu’il aurait pu y évoluer et y passer le reste de sa vie.
Mais au retour de son service militaire, en 2011, la crise s’était
installée au sein de l’entreprise, entraînant la dynamique des plans
sociaux. S’il n’était pas pour l’instant sur la liste des nouveaux
chômeurs, il avait cependant dû changer de poste et était devenu
vendeur. Pour limiter les licenciements, son temps de travail avait
également été réduit, et, au lieu de ses huit heures quotidiennes,
Panagiotis n’avait d’autre choix que d’accepter de ne plus travailler
que quatre heures. Son salaire était ainsi passé de 800 à 440 euros par
mois. «Mais tu sais quoi, me dit-il avec un petit rire jaune, j’étais riche comparé à d’autres.» Ces «autres» qui, contrairement à lui, n’ont pas la chance d’être hébergés et nourris par leurs parents.
A Londres, Panagiotis souhaite continuer
ses études. En Grèce, il existe deux filières universitaires distinctes
et la branche technologique dans laquelle il a étudié est considérée
comme inférieure, tout comme le diplôme qui en résulte. Les masters qui
lui sont accessibles sont donc peu nombreux, difficiles d’accès, payants
pour la plupart, parfois très chers. «Mais après le master,
qu’est-ce qui m’attend ? Londres m’offrira plus d’opportunités de
trouver un job. Je ne vais pas là-bas pour travailler à McDo. Mon
ambition est juste d’exercer un métier que j’aime.»
Panagiotis a de la chance, tout le monde
n’a pas forcément les moyens financiers nécessaires pour émigrer vers
l’étranger afin d’y continuer ses études. Celles-ci coûtent cher, tout
comme la vie dans de grandes villes telles Londres, Stockholm, Berlin.
Le père et le fils en Angleterre, la mère et la fille en Grèce
Le phénomène d’émigration ne touche pas
seulement les jeunes ; de plus en plus de familles entières repartent
sur les routes, comme leurs prédécesseurs dans les années 50-60. Les
destinations les plus prisées sont les pays d'Europe de l’Ouest (dont la
Suisse, le Royaume-Uni, l’Allemagne), les pays scandinaves, ou encore
les Etats Unis, le Canada, l’Australie, voire les pays de l’Amérique
latine qui connaissent une forte croissance économique comme le Brésil.
Généralement, l’un des membres s’en va
en premier, un visa touristique ou temporaire en poche - lorsqu’il
s’agit d’un pays extérieur à l’Union européenne, afin de rechercher des
contacts, des soutiens ou un job, voire de parvenir à l’obtention d’un
visa permanent. C’est ensuite que sa famille vient le rejoindre, si elle
le peut. Ma colocataire me raconte que la famille d’un de ses meilleurs
amis s’est totalement scindée en deux : le père et le fils sont partis
en Angleterre tandis que la mère et la fille sont restées en Grèce pour
s’occuper du commerce qu’ils possèdent toujours à Athènes.
Pour d’autres familles, il n’y a plus
aucune attache en Grèce, si ce ne sont les proches. C’est le cas d’Alex
et sa famille. Ce grand brun souriant aux cheveux longs bouclés
m’affirme qu’il n’a plus rien à faire en Grèce, qu’il n’a plus rien à
perdre. Au chômage depuis quatre ans, il me raconte qu’il ne perçoit
aucune aide de l’État et que pour nourrir leurs deux filles de 6 et 3
ans, lui et sa femme doivent compter sur le soutien de leurs familles
respectives qui payent leurs charges liées au logement et qui leur
fournissent de quoi vivre. « À 45 ans, je ne me sens pas fier d’être nourri par mes proches… J’espère que ma nouvelle vie me permettra de les aider à mon tour.» Aux yeux d’Alex, l’émigration reste le seul espoir de s’en sortir. «Je veux juste un emploi, avoir la chance de vivre décemment et de nourrir ma famille.»
Celle-ci a choisi l’Australie pour destination car le pays est en
dehors de l’Europe et Alex est convaincu que la situation qui touche
actuellement la Grèce se répandra bientôt à toute la zone euro. «Si
l’on souhaite immigrer là-bas, c’est avant tout pour nos enfants, pour
leur offrir la chance de vivre une vie meilleure que celle qui les
attend ici.»
Pour parvenir à s’insérer en Australie -
où la législation concernant l’immigration est l’une des plus strictes
du monde, les démarches sont longues et laborieuses - la famille a des
amis sur place qui tentent de les aider. Alex m’explique que depuis
plusieurs mois se développent des escroqueries sur Internet visant à
soutirer des informations bancaires ou de l’argent aux futurs migrants
en prétendant leur offrir un emploi ainsi qu’une entrée légale dans le
pays.
Ainsi fuient aussi les cerveaux.
Pendant ce temps, les pays en dehors de
la zone euro commencent à redouter une éventuelle faillite de la Grèce
et une augmentation du flux des immigrations. Certains comme le
Royaume-Uni réfléchissent déjà à une façon de se prémunir contre d’importants mouvements[EN*], [GR*] potentiels de personnes en recherche d’avenir à l’étranger.
Le «retour à la terre», ou l'exode rural à l'envers
Un nouveau phénomène de déplacement des
populations apparaît également : les migrations internes. Après l’exode
rural des cinquante dernières années, on assiste au phénomène inverse, le retour à la terre.
Les familles qui ne possèdent plus rien en ville (travail, argent) la
quittent pour retrouver leur village d’origine. Les prix y sont moins
élevés, ils y développent des cultures différentes de celles du passé.
Selon les résultats d'une étude réalisée par l'institut de sondage Kapa
research, 1,5 million de Grecs envisageraient de retourner vivre en
province.
Régime spartiate
http://grece.blogs.liberation.fr
***Des «Indignés» grecs couvrant leurs oreilles, leurs bouches ou leurs
yeux sur la place Syntagma d'Athènes située en face du parlement grec,
le 15 octobre 2011. (Louisa Gouliamaki/AFP/Getty Images)
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